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 Lette de Temesghen

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AuteurMessage
Vivian




Nombre de messages : 316

Lette de Temesghen Empty
MessageSujet: Lette de Temesghen   Lette de Temesghen Icon_minitimeSam 4 Oct - 14:16

CALAIS, 15 Septembre 2008


Je vous écris d’un coin de l’enfer, battu par les vents et les mers, et
les cris des mouettes qui se déchirent à travers les gouttes de pluie, - à
moins qu’ils ne s’agissent d’oiseaux de nuit, volant toujours plus haut,
aux brumes et lisières, et qui pourtant ne cessent de se perdre.
Je vous écris d’une ville de fuites, où j’ère et me terre, car devant
toujours partir, toujours là, dans une course éperdue, jusqu’à bout de
souffle.
Je vous « écris », est-ce là le bon mot ? « Ecrire », j’essaie, parce
qu’il faut le dire, ici, ici les mots n’ont plus le même sens. Ils
traînent et vagabondent comme nos errances, ils se dédoublent, s’épient
parfois : la langue trébuche et les idées se brouillent. Oui, c’est vrai,
il faut se souvenir d’où l’on vient afin de ne pas perdre le cap.
Je vous écris d’une ville du nord, Calais, point de passage obligé de
centaines de personnes, venues des coins du monde, les « migrants » comme
vous dites. Je vous écris car à aucun moment il ne nous a été donné de
prendre la parole. Pas une seule fois, à aucun moment, les journalistes ne
sont venus nous voir, nous ont demandé ce que nous pensions, ce que nous
ressentions, ce que nous savions des faits survenus. Pourquoi ? Ce n’était
sans doute pas la peine. Ce n’était sans doute pas nécessaire.
Ici, il y a quelques semaines en effet, une jeune journaliste en reportage
a été violée par une personne d’origine Afghane, dans ce que tout le monde
appelle « la jungle. » De nombreux articles ont été écrits sur cette
affaire, qui sont parus dans de nombreux journaux. De nombreuses
personnes, appartenant au monde des médias ou au monde associatif ont été
interrogées et ont donné leur point de vue sur les faits, leur version des
faits… Mais personne n’est venu nous voir.

D’ici, je vous écris pour prendre la parole et vous dire que je ne
connaissais pas cette personne. Que je l’avais vu de loin, à plusieurs
reprises, et n’avais ressenti le besoin où la nécessité de la rencontrer.
Il s’agissait pour moi, pour nous, d’une journaliste de plus qui, comme il
peut y en avoir des dizaines chaque année, venait faire les sempiternelles
images des « migrants » en train de prendre des camions, de dormir dans la
rue, dans la jungle, de manger aux soupes populaires… Calais, c’est le
cinéma, les sunlights, les tournages permanents, les photographes et
journalistes souvent à l’affût, en planque…. Elle est venu une fois dans
la « maison des Africains » (ce fameux « squatt » où une journaliste a
déclarée dans un article du journal Libération qu’elle avait renoncé à y
aller car trop « dangereux ». Il faut dire avec force qu’il n’y a jamais
eu aucune agression à l’encontre d’une femme ou d’un homme, sinon à notre
propre endroit. Il me faudrait ici parler des multiples ratonnades qui ont
eu lieu ces derniers mois, et qui ont notamment coûté un œil à un de mes
amis !), pour prendre des photos, et nous lui avons dit non, nous lui
avons demandé de partir. On en pouvait plus. C’est tout. Après je ne sais
pas. Sans doute a-t-elle noué des contacts avec les Afghans dans la
jungle.

D’ici, je vous écris pour prendre la parole et vous dire qu’il s’agit d’un
drame horrible, affreux, et qui a touché toutes les personnes présentes :
femmes, jeunes et moins jeunes. Hommes, jeunes et moins jeunes.
Croyez-vous que nous ne puissions comprendre et être saisis par la douleur
de cette jeune femme ? Que nous ne savons pas ce que c’est que de subir ?
Savez-vous ce que nos femmes, et parfois nos hommes ont enduré au plus
profond de leur chair au cours des traversées des déserts du Soudan, de
Lybie, parfois de la Méditérrannée ? Croyez-vous que nous n’ayons rien à
dire sur cet événement, profondément injuste? Injuste pour elle qui, comme
toute personne, ne méritait pas d’être frappée par une telle chose.
Injuste pour nous qui nous retrouvons une nouvelle fois stigmatisés.

D’ici, je vous écris pour prendre la parole et vous dire que nous sommes
effrayés. Oui, nous sommes effrayés. Nous courons. J’ai peur. Je le dis.
Je l’écris. Mais vous le savez déjà. Que va-t-on encore penser de nous ?
On nous prend déjà pour des criminels, des terroristes. Le doute, la
suspicion planent sur nous, des regards accusateurs se fixent sur nous.
Pourquoi devrions-nous, nous les « migrants », être meilleurs ou plus
dangereux que le peuple de Françe ? Comme partout dans le monde, comme
partout en France, il existe des gens merveilleux et des gens moins bien.
Comme partout dans le monde, comme partout en France, ces drames se
produisent fréquemment. Comme partout dans le monde, comme partout en
France, il existe, malheureusement, injustement, des lieux, des
situations, où une femme risque d’être plus exposée, où une femme ne doit
pas se rendre seule.

Oui, d’ici, je vous écris pour prendre la parole et vous dire que les
responsables se doivent d’être retrouvés et jugés. L’auteur du méfait bien
sûr, mais aussi les responsables qui font de ce coin de France une annexe
de l’enfer. Oui, doivent être jugés la France et aussi l’Europe, dont les
politiques font que nous vivons pire que des chiens. Dog life. Not an
European dog. An African dog ! Oui, d’ici je vous écris pour vous dire ce
que vous savez déjà: nous sommes jours après jours pourchassés, gazés,
arrêtés, blessés, relâchés, harcelés, arrêtés de nouveaux, nos « rooms »
sont détruites, nous les reconstruisons pour quelles soient de nouveau
détruites… Nous sommes chaque jours de plus en plus malades, et jusqu’à
ces maladies que vous ne connaissiez plus : 10 cas de tuberculose. Dog
Life. Dire, dire que l’association Salam vient d’installer pour un mois,
trois toilettes sur le lieu de distribution des repas, pour montrer au
nouveau Maire, que cela ne créera pas un « appel d’air », que c’est
possible. De l’air ? Il n’y en aura jamais assez. L’atmosphère est emplit
de souffre. Et puis, et puis… Louam. Louam, mon amie Louam, décédée en
juin de l’année dernière, fauchée par une voiture sur l’autoroute alors
qu’effrayée, elle fuyait la police qui la chassait... Louam, qui aurait
aujourd’hui 21 ans. Louam.

Pas une seule fois les journalistes ne sont venu nous voir. Pas une seule
fois ils nous ont demandé ce qui s’était passé, ce que nous savions, ce
que nous pensions, ce que nous ressentions.

Oui, je vous écris d’un coin de l’enfer, pour prendre enfin la parole.
Dieu m’entend. Il m’attend. Mon nom est Temesghen. J’ai 26 ans. Je viens
d’Erythrée. Je dors dans une vieille bâtisse désaffectée et pourrie, qui
jouxte un chantier de construction. Des résidences sortent actuellement de
terre. Elles vont s’appeler le « Clos Saint Pierre ».
Je m’appelle Temesghen B.
Temesghen. Cela signifie en Erythréen : Loué soit le Seigneur.

Temesghen B.
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