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Voici le texte de l'article, reproduit ci-après :
Les réacs du Web, antigays primaires
GAËL COGNÉ
QUOTIDIEN : mercredi 30 avril 2008
Ce n’est pas parce qu’on est «réac» qu’on ne sait pas se servir du Web. Matelsom, spécialiste de la vente de literie en ligne, vient de le découvrir à ses dépens. Depuis quelques semaines, la marque, qui emploie une centaine de salariés, fait l’objet d’une campagne de lobbying intense de la part de «blogs ultracatholiques», rapporte son patron, Emery Jacquillat, 37 ans. Eux préfèrent qu’on les appelle la «réacosphère». L’objet de leur colère : une publicité diffusée dans le métro parisien. Elle représente deux hommes, qui dorment sur un immense matelas. L’un contre l’autre. Ils s’enlacent mais «c’est hyper soft», s’insurge le patron de Matelsom, «surpris par l’ampleur des réactions», qu’il prend «très au sérieux. Sur notre blog, on a déjà 108 commentaires. Par ailleurs, on a dû recevoir entre 300 et 400 mails» .
«La réacosphère, c’est une vingtaine de sites. Ce sont véritablement des prosélytes qui partent avec leur bâton de pèlerin», analyse Guilhem Fouetillou, spécialiste de la blogosphère politique et directeur scientifique de RTGI (Réseaux territoire et géographie de l’information). Ils répondent aux noms de «fdesouche», «bal des dégueulasses», «Ab Imo Pectore» (du fond du cœur) ou «Legrandcharles».
«Réinformation». Thibaud (c’est son pseudo, il refuse de donner son nom), blogueur de 22 ans, se satisfait d’avoir «créé le débat» autour de la publicité de Matelsom . Le 15 avril, il a lancé la polémique sur e-deo, le «portail de la réinformation». Il dénonçait une image qui vise à «banaliser le comportement homosexuel dans le métro, emprunté par des familles et des enfants». Et de citer le catéchisme : «La tradition a toujours déclaré que "les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés".» Il conseille d’écrire des mails à la marque, au Bureau de la vérification de la publicité (BVP) et aux distributeurs. Selon lui, «être assimilées à la sodomie ne devrait pas faire plaisir à ces marques soucieuses de leur image». Les thèmes de prédilection de la réacosphère ? La lutte contre l’avortement, l’euthanasie, la «cathophobie», la défense de la doctrine saine de l’Eglise. «Le blog ne sert pas à se défouler, reprend Thibaud. Comme le soulignait Maurras, nous estimons qu’il y a deux France. Une France des médias, paillettes et people, et un pays bien réel qui est complexé.»
Ces réactionnaires en herbe (la majorité serait assez jeune) sont particulièrement actifs. Peu nombreux, ils ont une vraie culture du lobbying, stratégie dans laquelle se reconnaît volontiers Thibaud. «J’ai vu un post qui datait de 2005 et continuait à susciter des réactions avec 400 à 500 commentaires. C’est la première fois que je vois ça», s’étonne Guilhem Fouetillou. De vrais mordus du Net, rompus à ses usages : «C’est très malin de s’attribuer un nom. Ça permet de gagner en visibilité.» Par ailleurs, ils ont une vraie conscience de réseau. «Ils savent comment on diffuse, comment on pénètre de nouveaux milieux. On retrouve des stratégies qu’emploient les sectes, avec des approches par capillarité. D’un point de vue d’observateur, on peut dire qu’ils sont très bons», ajoute Guilhem Fouetillou.
Victimisation. Mission accomplie pour la «réacosphère» : on parle d’elle. La méthode est rodée, consistant à mobiliser la presse pour interpeller le politique. A cette fin, Internet est une belle caisse de résonance. «Le média est nouveau, mais les ressorts sont anciens. La différence, c’est qu’aujourd’hui on a des médias plus globaux», analyse Florent Le Bot, chercheur au CNRS, et spécialiste des mouvements réactionnaires (1) : «Ils s’inscrivent en réaction à un mouvement de changement. Ils estiment qu’avant toutes les évolutions, c’était mieux. Tout était parfait. Les réactionnaires se réfèrent souvent à un âge d’or qui serait juste avant la Révolution française. Ils remettent en cause la modernisation, jouent une certaine victimisation et cherchent à obliger les pouvoirs publics à réagir. C’est efficace dans une démocratie d’opinion.»
Matelsom a décidé de ne pas retirer la publicité. Pour le patron, elle n’est qu’un visuel parmi d’autres. Les quatre autres représentent deux couples hétérosexuels, un enfant et sa mère, une femme seule, soient «des gens qui ressemblent à [ses] clients». De plus, «le visuel gay est sous-représenté, avec cent affiches sur un total de mille pour toute la campagne». Emery Jacquillat campe sur ses positions : «C’est une image de notre temps. Les homosexuels font partie de notre société. Il ne faut pas se voiler la face.»
(1) «La Fabrique réactionnaire», Presses de Sciences Po.